Dizain des 10 000

Dizain – 1

Reines de marbre blanc attendant la rincée
Regardant l’eau qui monte, la bouche pincée
Un pigeon pas gêné chiant sur le vieux Flaubert
Tandis que devant lui, on mange un camembert.
La mariée boudinée un peu dans sa dentelle
Pose pour la photo, lui, porte des bretelles.
Les rhododendrons sont défleuris, gorgés d’eau
Et dans une poubelle farfouille un corbeau.
J’ai demandé soutien à Sainte-Geneviève :
Sauve Paris de cette Seine qui s’élève !

Dizain – 2

Dimanche matin au jardin du Luxembourg
Malgré le temps pourri partout ça court, ça court !
Sous le kiosque à musique on y joue « Téléphone »
D’un rock aseptisé, pépère, comme aphone.
Sainte-Beuve toujours de son air satisfait
Et bonhomme sourit à ce monde imparfait,
Son amie Georges Sand aux cheveux d’un vert mousse
Regarde à ses pieds où l’herbe en fête repousse.
Sous la ronde des Reines un groupe de scouts
À coup de sauciflard s’improvise un raout.

Dizain – 3

J’ai croisé deux facteurs au cours de ma séance,
Ils traversaient le parc marchant avec vaillance.
Les canards, de sortie, cherchent un peu de sec
Et autour d’une flaque ils font claquer leur bec.
Anne d’Autriche luit, on l’a bien décapée
On voit qu’elle est toute de dentelle sapée.
Des couples à mitraillette arpentent le jardin,
En marchant aujourd’hui, j’en ai croisé plus d’un !
Sous un foulard serré peut-être en soie de Chine,
Nous toise avec dédain madame Rostopchine.

Dizain – 4

Tout blancs, les Parisiens, par la Seine inondés,
Se chargent au soleil en vitamine D.
Tout autour du Sénat on installe une grille,
Pour entrer maintenant faudra être une anguille !
Portant casquette jaune, un rallye d’écoliers
M’a croisée devant le verger en espaliers.
Stendhal est de profil sur sa stèle à médaille
Tandis que devant lui s’amuse la marmaille.
Devant la Liberté un couple américain
Sourit, si plein de dents qu’on dirait deux requins.

Dizain – 5

Au terrain de pétanque a bien séché la flaque
On entend à nouveau, la boule qui y claque.
Timide comme une violette, cher Chopin
Se cache au cœur des buis en face d’un grand pin.
Près de l’Orangerie, les joueurs d’échec en nombre
Sous une pergola font des blitz, mine sombre.
Beethoven par Bourdelle a un air courroucé
Pour qu’il s’énerve, on sent qu’il faut pas le pousser !
Les gens mangent à midi et se mettent à l’aise,
Un bouquin à la main, les pieds sur une chaise.
Côté Observatoire, on a repeint les bancs
Et il sont comme neufs, vert bouteille brillant.

Dizain – 6

Et voilà qu’il re-pleut, ce deuxième dimanche
Ça court, marche pourtant mais à l’abri des branches.
Autour du bassin dans de grands pots, les citrus
Aimeraient la chaleur, ça serait un bonus !
Un type fait son taï chi sous une cape
Pour montrer que la pluie, ah la la il s’en tape !
Stoïque devant la fontaine Delacroix
Une dame à chapeau sort un thermos et boit.
Là, au coin d’un massif, salut à Mendès-France
Sous l’air désabusé, va savoir ce qu’il pense…

Dizain – 7

Le lion de pierre mate la classe, œil oblique
Si ça tenait qu’à lui, quel goûteux pique-nique !
Un fauteuil qui esquisse un pas de french cancan
Levant la patte, est un spectacle pas fréquent…
Tout autour du Sénat sont dressées des barrières,
Les sénateurs sont-ils pas sûrs de leurs arrières ?
Sur le clou d’Arago est indiqué le Nord,
On l’a perdu, c’est vrai, au milieu de ces morts.
Les ruchers sont muets, rien autour ne bourdonne
Avec la pluie sans fin, pauvre abeille abandonne.

Dizain – 8

Sous le kiosque à musique, à tue-tête (et très faux !)
Un chœur chante Aznavour dont point trop ne me faut.
La récré a sonné à l’école des ruches
En combinaison blanche, on papote ou on buche.
Le gazon très, très vert sous la pluie à gogo
Si ça continue, deviendra un marigot !
La Maguy d’Angoulême a un air bien perplexe
Fixant le bassin où les choses sont complexes :
Le bateau de Belgique est coincé près du bord
Tandis que l’australien a mis le cap au nord.

Dizain – 9

Peindre un banc sous la pluie, difficile exercice !
Le personnel pourtant assure ce service.
Après samedi, les seringats défleuris
N’ont pas dû supporter, l’orage qu’il y fit.
Main dans la boutonnière, un sombre Baudelaire
Pour la postérité prend une pose fière.
Saluons en passant la stèle de Branly,
Sur son quai, le musée a dix ans accomplis.
Les chaises désertées entourent le parterre,
Vides de fesses et moral plus bas que terre.

Dizain – 10

Un monsieur lit assis, sosie de Benabou*,
Sa femme sous le ciel tout gris, l’attend debout.
Stefan Zweig, les sourcils haussés, grosse moustache
Lorgne d’un lycéen, les blagues de potache.
Au verger on a mis les poires dans des sacs,
À leur croissance espérant redonner la gnack.
Les citrus dépités ont demandé l’asile
Climatique en Afrique, très, très loin de notre île.
La platebande a le pétunia tout flétri
Mais l’œillet d’Inde, lui, reste droit comme un i.

*Marcel Benabou de l’Oulipo !

Dizain – 11

George Sand en a marre, elle est pleine de mousse
Qui dans l’humidité fait des plaques mahousses.
« Gros Faro » est le nom de ce plaqueminier
Dont « kaki » est le nom connu chez l’épicier.
Une classe en passant braille pleine de vie
Faisant au lion figé tout d’un coup bien envie.
Au court un des gamins, sous le regard d’un prof,
Joue un tennis très mou. Pas très motivé, bof…
Le marchand de glaces n’assure pas son chiffre :
On ne voit personne qui de sorbets s’empiffre.

Dizain – 12

Dès l’entrée, un ronron (on rase la pelouse)
Sonnerait-il enfin de l’été, l’anacrouse ?
Sous Massenet, surpris, un groupe de nippons
Fait des photos sans fin. Sont- ils fans de Manon ?
Arroser le gazon devant l’Effort d’Hercule
Qui détourne l’Alphée, n’est-ce-pas ridicule ?
Les fruits tombés au sol d’un immense tilleul,
Les vit-il Monsieur Proust aux doux yeux d’épagneul ?
Hé, Anne de Bretagne assurément point sotte,
Quel est donc ce cordon lové dans ta menotte ?

Dizain – 13

Les flaques sont cachées sous des tas de gravier
Car certaines étaient larges comme un évier…
Delacroix, ton monument sent la dithyrambe
Où tu es maintenant, ça te fait belle jambe !
La reinette de Cau-pas fille du soleil !-
Ses fruits en sac, n’a jamais vu été pareil.
Quel miracle a donc accompli Sainte Clotilde
Qui fait face, par chance, à la reine Mathilde.
Exercice aujourd’hui pour les sapeurs- pompiers :
Leurs voitures garées, ils sont partis à pied.

Dizain – 14

Sur la Bohème, Henry Murger a fait un livre…
Étant un « Buveur d’eau », ne fut-il jamais ivre ?
Au restaurant se tient un mariage élégant :
Des dames à chapeaux vraiment extravagants !
Le tournesol ne sait où donner de la tête
Et sous ce ciel tout gris, il n’est pas à la fête.
Dans Paris il y a une chasse au trésor
Et le Luxembourg fait partie de son décor.
En face du bassin, un couple russe « classe  »
Assis sur deux fauteuils, guindés, sucent des glaces.

Dizain – 15

Trois pelouses ce jour, d’entrée sont interdites
Aucun visiteur las n’y fera donc sissite.
Du jazz, au kiosque, on joue bien qu’on soit un lundi
Au solo de saxo, in petto, j’applaudis.
Mais pour qui est ce buste à la barbe bifide ?
Ce mystère, un jour, il faut que je l’élucide !
Un moine en blanc portant photo de Teresa
Questionne en anglais les gendarmes du Sénat.
Trois joggeurs revêtus de T-shirts bleu marine
Me doublent en soufflant très fort par les narines.

Dizain – 16

La pelouse est rouverte, enfin, au pique-nique
Et à la douce sieste au soleil sympathique.
On a laissé ici un parapluie pour mort,
S’il re-pleut son proprio aura des remords !
Un souffle d’air charmant remontant les allées,
Des sombres châtaigniers fait danser la feuillée.
Dessus l’Orangerie, Delacroix, haut placé,
Veille sur un palmier avec un air pincé.
Le Faune tout content esquisse un pas de gigue
Saluant ce temps du Sud, ses natives garrigues.

Dizain – 17

Le Marchand de Masques nous montre Delacroix
C’est la troisième fois qu’au jardin, on le voit !
Le bégonia est double et jaune…c’est tendance !
Mais tout, près de ce jaune, a l’air d’un beurre rance.
Connaissez-vous l’arbre qu’on nomme catalpa ?
Lui faut une béquille comme un grand-papa.
Quelques joueurs d’échecs ont trouvé un compère,
L’un d’eux seul à sa table attend de faire paire.
Les gendarmes en faction parlent de galons,
À ces gars- là, le temps doit sembler vraiment long.

Dizain – 18

Des hordes en courant soulèvent la poussière
La route qui poudroie nous cache leurs derrières.
Un concours de selfies, fontaine Médicis :
Des touristes ici, j’en compte plus que six.
C’est le sceptre à la main qu’est Blanche de Castille,
D’Alienor d’Aquitaine, elle est petite-fille.
Le pétunia revit sous les ultra-violets,
Corolle de velours au délicat ourlet.
L’âme humaine changeant, on ne cherche que l’ombre
Sur la pelouse où les glacières sont en nombre.

Dizain – 19

Dès l’entrée, trois chasseurs de petits Pokémons
Pleins de concentration qui fait plisser le front.
Le lundi au jardin est jour de nettoyage,
Rondement mené par un personnel en nage.
Une belle nana, couronne en seringat,
Blonde, évoque aussitôt qui ? – La Cicciolina* !
Tout seul sur une chaise, un sans-abri somnole
Rappelant que l’été, pour eux, est vraie vérole.**
Qui donc est ce Le Play qui pose en commandeur ?
Sociologue il fut et des Mines, ingénieur.

* celle des années 70 !
** confirmé par Robert Mc Liam Wilson.

Dizain – 20

La pelouse arrosée donne un peu de fraicheur
Qui est un vrai bienfait au front suant du marcheur.
Je n’ai pas à ce jour, fait hommage à Verlaine,
Est-ce pour ça qu’il a ce regard peu amène ?
Pour rester bien à l’ombre, on rase les massifs
Croisant, bien mollassons, quelques rares sportifs.
Trois facteurs, à grands pas, narguent la canicule :
Coupant par le jardin, notre courrier circule.
Les filles à midi se font ici bronzer
Clichés à la Doisneau, un peu surexposés.

Dizain – 21

Un gardien fermement vire de la pelouse
Interdite, une Anglaise à la très jolie blouse.
Une poire au verger porte un nom bien pompeux,
« Conseiller de la cour », excusez- la du peu !
-
À qui est donc ce buste aux joues mangées de barbe ?
À Millet qui jamais n’a peint de la rhubarbe*.
En passant à côté du poète Heredia
N’y ai vu nul gerfaut, ni à hue ni à dia.
La Provence s’invite avec les lauriers roses
Que l’on rentre l’hiver par peur de la nécrose.

*à ma connaissance…j’attends les démentis 😉

Dizain – 22

Dans le sens où toujours la baignoire se vide
Les gens courent suivant une loi très rigide.
Marguerite d’Anjou pointe un doigt indigné
Mais au bout de ce doigt, n’y a que du gravier…
De cinquante à soixante-dix passe la dime
Pour pisser au Luco, inflation grandissime !
Le grand cerf protégeant la biche avec le faon
Est photographié par un couple du Japon.
Pas un chat aujourd’hui au terrain de pétanque,
Il faut croire que le soleil du Sud leur manque.